Dans son premier livre intitulé « Le sang du père » [1] édité aux Editions Cinéquaprod, Sylvain Durain analyse en profondeur le meurtre de la figure du père dans la société française, et ce d’après la filmographie de Jacques Audiard. Le jeune cinéphile y étudie les relations père-fils et hommes-femmes de manière méthodique et minutieuse. Il établit aussi une critique de certains sujets comme la fausse virilité, la féminisation de la société, les adulescents, le jeunisme ou encore la dimension métaphysique du mondialisme. L’étude de ces phénomènes de société renvoie le lecteur aux causes spirituelles de nos maux contemporains, complétant ainsi cet essai d’analyse vu principalement sous un angle cinématographique.
Sylvain, vous reprenez dans votre livre le thème de la résilience -cher à Cyrulnik- ou plus précisément les tuteurs de résilience. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
J’ai eu la chance de naître et de grandir dans une famille structurée, et c’est en découvrant le monde, à l’adolescence, que ma solitude dans ce qui est pour moi la normalité m’a choqué. Entre les familles recomposées et les demi- frères et soeurs, j’étais bien seul. Loin de moi l’idée de montrer du doigt tel ou tel, mais le constat est là. Les jeunes de ma génération, c’est-à-dire les moins de 30 ans, n’ont en majorité pas grandi dans une cellule familiale saine. Dans un monde où l’image et la place du Père dans la société sont en déperditions, il est important, voire primordial de savoir placer ses envies et ses besoins de figures paternelles dans une personne que nous respectons, ou une personne de notre entourage que nous apprécions. Si la relation est saine et qu’elle apporte la transmission de valeurs, nous pouvons alors parler de tuteurs de résilience. Mais cette figure peut aussi valoir pour la résilience des peuples.
Dans notre crise actuelle, il est important que les peuples oublient les États matriarcaux et nourriciers pour reprendre des responsabilités et se résilier. Plusieurs pistes sont d’ailleurs présentées dans le livre d’un auteur que vous connaissez bien puisqu’il s’agit de « Survivre à l’effondrement économique » de Piero San Giorgio. Cet auteur fait d’ailleurs allusion à plusieurs reprises à cette notion de résilience.
Vaut-il mieux avoir visionné la filmographie d’Audiard avant de lire « Le sang du père » ?
Même si les personnages décrits et les scènes analysées peuvent être lus indépendamment des films, il est clair que la meilleure solution est de voir les films avant, ou même pendant la lecture de l’ouvrage. Plusieurs personnes m’ont avoué avoir apprécié de découvrir les films tout au long de la lecture et que cela donnait une épaisseur particulière aussi bien au livre qu’à l’oeuvre cinématographique de Jacques Audiard. Je conseillerais donc ce système.
Avez-vous cherché, à travers ce livre, à concilier les travaux de psychanalyse de Boris Cyrulnik avec ceux cinématographiques de Jacques Audiard ?
Même s’il n’est pas l’inventeur de ce concept de résilience, c’est bien Boris Cyrulnik qui fait oeuvre de référence en France sur ce thème. J’ai donc été sensibilisé assez tôt sur cette problématique et il me semblait que les images de pères et les relations père-fils dans le cinéma d’Audiard se prêtaient bien à cette grille de lecture. Je n’ai pas voulu rendre hommage particulièrement au psychanalyste en tant que personne, mais plutôt à l’aspect positif que représente cette idée de résilience.
Quel que soit le trauma, et nous en vivons tous actuellement dans notre époque si moderne et si troublée, il est important de savoir qu’une personne, une structure ou une activité, peuvent nous rendre la vie plus vivable et plus juste. Cela peut passer par un retour aux vraies valeurs. Je pense par exemple à ces personnes qui, grâce à la foi, retrouvent un sens à leur vie et parviennent à s’épanouir au milieu d’un torrent de boue moderne qui nous force à vivre à contre-courant. Ce n’est pas moi qui vous apprendrez, cher Johan, que nous évoluons dans un monde où toutes les valeurs sont inversées, où le Mal est désormais perçu comme le Bien, et inversement.
Quelles places tiennent le père, la mère et le fils dans la filmographie d’Audiard ?
Une place centrale. Quoi qu’en dise le réalisateur concerné, le rôle des relations père-fils et ses conséquences dans la cellule familiale sont primordiaux dans son cinéma. C’est véritablement en fonction de cette relation que la narration et le style de filmage vont s’opérer. Les différents personnages proposés dans les scénarios sont tous, selon mon modeste avis, développés en relation avec ces pères si particuliers et ces fils si modernes.
Différentes formes de pères sont analysées dans votre livre. Pouvez-vous les énumérer et les résumer ?
J’analyse les différentes formes de pères présentées dans le cinéma d’Audiard, figures que l’on peut d’ailleurs retrouver dans nos vies. Je vais tenter de vous les énumérer ici :
Tout d’abord, Regarde les hommes tomber nous raconte l’histoire de deux duos père-fils qui vont se rencontrer et s’affronter à distance. Les pères sont ici symboliques. Les liens des hommes dépassent parfois ceux du sang, tel semble être le dicton de ce film. Je tente de traiter ce problème en analysant cette fameuse figure qu’est « le tuteur de résilience ». Dans ce film, les deux tuteurs de résilience se retrouveront, l’un tuant l’autre pour récupérer un fils, tel un trophée.
Un héros très discret, le deuxième film de Jacques Audiard, ne tient que sur la relation imaginée d’un fils avec son père mort et donc absent. Basé sur une éducation tronquée par le mensonge de la mère, le fils va tout faire pour racheter l’honneur de son père et devenir un héros de la résistance française.
Sur mes lèvres va faire apparaître une figure du père très intéressante, celle symbolique et sociale, de la représentation de la loi. Le contrôleur judiciaire du personnage du fils interprété par Vincent Cassel, va jouer le rôle d’un père le rappelant à l’ordre lorsque nécessaire et l’aider dans sa réinsertion sociale. Audiard crée quasiment une deuxième histoire en parallèle, celle d’un homme à la recherche de sa femme ou plutôt de la sphère féminine. La recherche de cette féminité étant un autre thème récurrent dans le cinéma d’Audiard.
Nous découvrons ensuite, et ce pour la première fois, la figure du père biologique dans De battre mon coeur s’est arrêté. Tom, le personnage principal, va tenter de dévier de l’omniprésence de son père et compenser la mort et l’absence de sa mère par la musique et le piano. Là aussi, il faut noter un thème récurrent qui trouve ici son apogée : la relation entre la musique (le piano plus précisément) et les femmes.
Enfin, Un prophète propose une continuité de l’image du père annoncée dans De battre mon cœur s’est arrêté, sous les traits du même acteur Niels Arestrup. Une image à la fois impériale et diabolique qui va littéralement créer un fils de substitution avec le personnage principal de Malik. Une figure de fils qui sert d’exemple à ce que je tente de nommer « le fils nouveau », une sorte de fils perdu et ultra-moderne.
Il est important de regarder ses films de manière objective sans pour autant devoir les apprécier. En effet, même si son cinéma est pour moi très bon, il est encore plus intéressant de les analyser pour mettre en relief ces figures de pères, mais aussi les thèmes forts qui en découlent et que vous avez énumérés dans votre présentation : la fausse virilité, la féminisation de la société, les adulescents, le jeunisme ou encore la dimension métaphysique du mondialisme.
Pensez-vous qu’il existe encore une forte idéalisation du père dans notre société en perte totale de valeurs ?
Oui et cette idéalisation vient du fait que le Père n’existe plus. Que ce soit les fils ou les filles, nos générations sont en perte de repères et de valeurs saines et malheureusement se perdent dans une idéalisation parfois fantasmée du Père. À contrario, beaucoup de jeunes n’accordent que peu d’importance à la place de la famille dans leur vie et oublient assez vite les liens de la cellule familiale détruits, pour permettre une manipulation plus facile des individus. J’ai par exemple pu voir en Grèce lors du tournage de mon documentaire sur la crise, que le peuple grec, plus en phase avec des cellules familiales toujours existantes, parvient à créer des solutions pour survivre. La perte de l’image du Père et des valeurs laisse le champ libre à toutes les attaques, qu’elles soient économiques, politiques ou spirituelles.
Cette progressive disparition de la figure du père n’est-elle pas à rapprocher de la déchristianisation de notre société voulue et soutenue par l’oligarchie mondialiste ?
Tout à fait et c’est pour cela que je cite, à un moment donné dans le livre, un exemple des analyses de Pierre Hillard, auteur que tout le monde devrait lire pour comprendre ce qu’est le mondialisme et sur quelles bases il se développe. N’oublions pas que la catholicité est attaquée de toute part depuis bien longtemps, que ce soit par les Grandes Guerres ou par les lois et manipulations tentants de dénaturer cette religion et cette vision du monde. Force est de constater que de nos jours, la religion catholique n’est plus qu’une caricature d’elle-même, et qu’elle ne propose plus vraiment l’échappatoire dont nous aurions besoin pour résister. Il convient toutefois, à mon avis, de se référer à certaines valeurs catholiques pour trouver cette force mystique nécessaire à la lutte qui nous est proposée. Car comme vous le dites souvent, le vrai clivage est d’ordre spirituel.
Comme évoqué à la fin de votre ouvrage, comptez-vous rédiger un livre sur les rapports entre cinéma et mondialisme ?
Oui, je suis en train de m’y mettre. Je pense qu’il est nécessaire de mettre en relation Cinéma et Mondialisme, tant le premier est au service du second et propage ses idées néfastes à travers nos pays colonisés. Cette colonisation de notre imaginaire nous bloque dans des valeurs qui ne sont pas les nôtres, et nous empêche un réveil nécessaire. J’espère pouvoir mener ce projet à bien et mettre en lumière la place du Cinéma et d’Hollywood dans ce que vous dénoncez dans vos livres comme étant la mise en place du Nouvel Ordre Mondial.
Je tiens pour terminer à vous remercier de vos questions et de votre intérêt. Je conseille d’ailleurs à tous les lecteurs de se renseigner sur votre travail et notamment sur les livres « Deux cris dans la nuit » et « Synthèse du mouvement révolutionnaire » pour mieux comprendre certains sujets que j’ai abordés dans mon livre.
[1] « Le sang du père » est en commande sur le site de Sylvain Durain : http://www.sylvaindurain.fr/livre/.
Sur le même sujet, voir aussi la série d’entretiens réalisée avec Pierre Hillard, Franck Abed et moi-même : http://www.sylvaindurain.fr/lesangdupere/
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